L’angoisse du 8ème mois

L’angoisse du 8ème mois est un des 3 organisateurs (sourire social – angoisse de séparation – négation), élaborés par R. SPITZ, de la vie psychique de l’enfant, témoignant de la mise en place chez le nourrisson de la distinction progressive entre « moi et l’autre ».

Cette angoisse est éprouvée à un moment où l’enfant a atteint une représentation de sa mère comme une personne totalement différenciée de lui-même. Elle témoigne de l’instauration d’une relation stable avec la figure d’attachement sécurisante et de l’angoisse liée à l’absence de cette figure d’attachement.

Les situations de perte

À ces étapes vont s’ajouter toutes les situations de « perte » auxquelles l’enfant va être confronté : complexe d’Œdipe, décès (d’un être proche, d’un animal,…), séparation des parents, éloignement d’amis,…

Ces multiples situations seront alors susceptibles de réactiver une angoisse de séparation.

L’angoisse de séparation est une angoisse archaïque liée à la perte et à la séparation. Afin de surmonter ces pertes, l’enfant aura à faire un travail de deuil.

Qu’est ce qui aide l’enfant à se séparer ?

La théorie de l’attachement

La théorie de l’attachement est encore aujourd’hui un instrument privilégié dans l’étude de l’angoisse de séparation. Développée par J. BOWLBY en 1978, elle pose l’hypothèse que l’attachement de l’enfant à sa mère est un phénomène primaire irréductible à la nourriture. Le corollaire interne qui découle du système d’attachement est le sentiment de sécurité, permettant à l’enfant de s’éloigner en toute sécurité de sa figure d’attachement pour explorer le monde qui l’entoure.

En d’autres termes, un enfant qui a reçu suffisamment de réassurance quant à la fiabilité de l’amour que lui porte sa figure d’attachement sera à même de partir « explorer le monde ».
Mais ce modèle n’est pas immuable : un enfant qui subirait la perte de sa figure d’attachement ou qui verrait sa relation avec elle sensiblement s’altérer (dans le cas d’une séparation conjugale par exemple) pourrait développer un modèle interne d’attachement insécurisant.

Il apparaitrait également que les représentations d’attachement sont le plus flexibles autour de l’âge de 4 ans.

Votre enfant pleure, « fait des crises »  pour ne pas aller à l’école, il dit qu’il a mal au ventre ? Il ne veut pas aller se coucher le soir, a du mal à s’endormir et/ou se réveille en pleine nuit, vous appelle, ou encore vient vous rejoindre dans votre lit ? Il est possible qu’il souffre d’angoisse de séparation.

Alors même que l’angoisse de séparation fait partie du développement psycho-affectif de l’enfant et est une réaction normale aux situations de séparations, elle peut néanmoins devenir pathologique.

Alors comment savoir si l’on est dans le champ d’une étape « normale » du développement de l’enfant et auquel cas « ça va passer » ; ou dans une situation « pathologique » qui relève d’un accompagnement psychothérapeutique ?

L’angoisse de séparation dans le développement de l’enfant

L’angoisse de séparation est une angoisse liée à une perte : peur de perdre la mère, ou l’amour de la mère.

Le traumatisme de la naissance.

La première séparation que nous avons à vivre en tant qu’être humain, est l’expérience de notre naissance. D’après S. FREUD, notre naissance est la première expérience d’angoisse.

Selon O. RANK, la naissance est l’expérience physiologique à l’origine de l’inconscient. La vie fantasmatique de l’enfant trouverait sa source dans sa lutte contre le trauma de la naissance ainsi que les conflits propres à la castration et à l’Œdipe.

Enfin, pour M. KLEIN, la naissance est une étape du développement impliquant une perte ; et c’est en cela qu’elle représente le prototype de toutes les pertes successives que l’enfant vivra.

L’objet transitionnel

L’importance de l’objet transitionnel mis en évidence par WINNICOTT, réside dans le fait qu’il permet de transformer l’état de dépendance totale dans lequel se trouve le jeune enfant en un état de dépendance partielle.

L’objet transitionnel n’est ni un objet extérieur, ni une partie de soi. Il s’agit plutôt de quelque chose situé à mi-distance utilisé par l’enfant pour lutter contre l’anxiété, notamment lors des expériences de séparation d’avec la mère.

Le jouet offert par la mère assure la permanence de sa présence. La permanence de l’objet assure la continuité relationnelle avec la mère (figure parentale rassurante, contenante, sécurisante) absente.

Le jeu comme espace transitionnel

Dans jeu et réalité, WINNICOTT décrit le jeu comme un espace psychique, un espace transitionnel, dans lequel l’enfant peut faire le lien entre présence et absence, entre lui et les autres. L’espace transitionnel du jeu, va jouer un rôle essentiel dans les processus de représentation et de symbolisation, qui va permettre un premier décollement avec l’objet maternel, un premier mouvement vers l’indépendance, donc aider à la séparation.

FREUD évoque quant à lui, la possibilité pour l’enfant de mettre en scène les disparitions et retours de sa mère, notamment lors de jeux de « cache-cache » d’objet. L’enfant devient ainsi actif par rapport à cet évènement au lieu de le subir.

Du normal au pathologique : quand consulter ?

L’anxiété de séparation est un trouble assez répandu chez les enfants : son taux de prévalence est estimé aux alentours de 4% chez les enfants et les jeunes adolescents (avec un pic chez les enfants de 6 ans – année de grande section/entrée en CP et chez les jeunes adolescents – entrée en 6ème). Son taux de prévalence décroit de l’enfance à la fin de l’adolescence.

Les critères diagnostiques

L’angoisse de séparation fait partie des troubles anxieux. Elle fait partie des troubles émotionnels apparaissant spécifiquement dans l’enfance. Elle est définie comme « un trouble dans lequel l’anxiété est focalisée sur une crainte concernant la séparation, survenant pour la 1ère fois au cours des premières années de l’enfance ».

Ce qui la distingue de l’angoisse de séparation développementale (normale), c’est :

  • son intensité, à l’évidence excessive
  • sa persistance au-delà de la petite enfance (après 3 ans)
  • son association à une perturbation significative du fonctionnement social (l’enfant s’empêche de voir des amis, ne veut que rester avec ses parents,…)

Exemples de manifestations

Ce qui caractérise l’angoisse de séparation, c’est que l’enfant ne supporte pas les situations banales et quotidiennes de séparation d’avec ses parents ou ses objets d’amour. Il semble les considérer et les vivre comme s’il s’agissait de catastrophes irrémédiables, alors que les autres enfants les acceptent très bien à partir de 3-4 ans.

Voici quelques signes évoquant une angoisse de séparation :

  • « tempête affective » au moment de la séparation. Par exemple, l’enfant s’accroche aux bras de sa mère en pleurant très fort au moment où elle le laisse à l’école.
  • rêves ou cauchemars avec des thèmes de mort et/ou de séparation
  • refus de situations de séparation, notamment dormir hors de la maison, aller à l’école, rendre visite à des amis ou à des proches, rester seul à la maison ou avec une nounou, aller se coucher (l’enfant demande souvent à dormir avec ses parents ou se réveille la nuit pour aller les rejoindre dans leur lit)
  • crainte des conséquences de la séparation : peur d’être kidnappé, blessé ou que les proches soient tués ou blessés
  • symptômes physiques dans l’attente de la séparation : vomissements, diarrhées, maux de tête, douleurs gastriques,…
  • enfants « collants »

Plus particulièrement à l’école, l’enfant peut se comporter de la manière suivante :

  • calme, triste, léthargique, une espèce de résignation
  • retrait social
  • difficultés à se concentrer, à travailler ou à jouer
  • attente anxieuse pendant la durée de la séparation

Aspects environnementaux et familiaux

Un certain nombre d’études ont mis l’accent sur la dimension familiale de l’angoisse de séparation, c’est-à-dire sur le fait que les membres de la famille d’une personne souffrant d’angoisse de séparation présentent eux-mêmes le phénomène angoisse de séparation plus fréquemment que l’on ne le trouve dans la population générale.

Il apparaitrait donc qu’il y a une transmission familiale de l’angoisse de séparation : les enfants présentant le trouble angoisse de séparation ont tendance à présenter encore ce trouble lorsqu’ils sont devenus adultes, et ont tendance à le transmettre à leurs enfants.

Mais il est difficile de dire s’il faut privilégier l’hypothèse d’une transmission héréditaire reposant sur des mécanismes génétiques, celle d’une transmission « sociale » fondée sur des processus psychologiques d’imitation et d’apprentissage social, ou celle d’une interaction complexe entre les processus biologiques et psychosociaux.

Que faire ?

Établir la présence du trouble

L’angoisse de séparation est pathologique lorsque :

  • elle présente une intensité importante
  • elle devient pénalisante pour l’enfant et son environnement
  • elle persiste au-delà de l’âge où elle aurait dû disparaître (au-delà de 2 ans)

Voici quelques questions dont les réponses pourront vous orienter vers un accompagnement psychothérapeutique.

  • → Est-ce que l’angoisse de séparation perturbe le comportement de l’enfant ? Se met-il en situations d’évitement ? A-t-il des obsessions ? Des conduites ritualisées ?
  • → Est-ce que l’angoisse de séparation diminue la qualité de vie de mon enfant ? Emotions négatives, anxiété anticipatoire : l’enfant a peur d’avoir peur, plus rien ne lui fait plaisir,…
  • → Est-ce que l’anxiété perturbe le rythme auquel l’enfant se développe ? Retards plus ou moins prononcés dans les domaines affectif, social, scolaire.
  • → Est-ce que ces difficultés perturbent votre vie de famille ? Enfant exigeant voire tyrannique, « collant », en opposition lors de séparations, conflits,…

L’accompagnement psychothérapeutique

L’accompagnement psychothérapeutique pourra prendre diverses formes. Cela pourra se faire, en fonction de la situation, sous forme de séances individuelles avec l’enfant au cours desquelles il sera donné à l’enfant l’occasion de symboliser les situations générant de l’angoisse. Ou encore en accompagnement mère/enfant où la mère pourra verbaliser ses propres angoisses.

Quelle que soit la forme de psychothérapie adoptée, le principe fondamental et garant de la réussite du travail thérapeutique est la collaboration avec les parents et le travail en confiance.

L’angoisse de séparation, comme les autres troubles anxieux de la petite enfance, a un taux de rémission important. Mais le taux de réapparition, après cette rémission, de nouveaux troubles autres que l’angoisse de séparation est élevé.

L’angoisse de séparation infantile est souvent la première manifestation d’un processus durable. Il arrive rarement que l’angoisse de séparation se perpétue jusqu’à l’âge adulte. Le plus souvent, elle disparaît à l’adolescence, mais on a l’impression que dans de nombreux cas, il ne s’agit que d’un changement de l’expression symptomatique de l’angoisse.

Il convient donc d’être vigilant aux troubles présentés par l’enfant et agir le plus rapidement possible.

Bibliographie

BAILLY D., La peur de la séparation, 2005, Odile JACOB

BOWLBY J., Attachement et perte, 1978, PUF

DUMAS J., L’enfant anxieux, 2005, DE BOECK

DUMAS J., CYRULNIK B., L’enfant anxieux : comprendre la peur de la peur et redonner courage, 2008, DE BOECK

FREUD A., Le normal et le pathologique chez l’enfant, 1968, GALLIMARD

FREUD S., Au-delà du principe de plaisir, Essais de psychanalyse, 2010, PAYOT

LEMOINE B., D’ARGENTRE A.M., Maman, ne me quitte pas ! : accompagner l’enfant dans les séparations de la vie, ST PAUL Editions religieuses

PANTEY E., Elle est où maman ?: se séparer sans larmes entre 6 mois et 6 ans, 2014, JC LATTES

RUFO M., Détache-moi ! Se séparer pour grandir, 2007, Librairie générale française

WINNICOTT D.W., Jeu et réalité, 2015, GALLIMARD

 

Albums :

WADDELL M., Bébés chouettes, 1999, L’école des loisirs

SARZAUD S., Petite feuille n’aime pas le vent, EYROLLES

SARZAUD S., Petit violon-le trio se sépare : la séparation/le divorce, EYROLLESPour marque-pages : Permaliens.